S'EXPRIMER LE 15/02
"C'est quand même un comble : demain fête l'amour, après-demain fête pas la guerre." Et pendant ce temps, Monsieur Ducobu lit le message un peu long mais plein de raison ci-dessous en hochant de la tête et en disant à son tour NON, NON, NON.
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SAMEDI 15/02 - BXL GARE DU NORD - 14h00
Chers amis, amies, connaissances lointaines et inconnus,
Je me permets de vous envoyer quelques lignes rébarbatives au milieu de vos journées de travail. Il se fait que je travaille depuis maintenant 12 ans avec les pays du Moyen-Orient, que j'y ai tissé des liens avec beaucoup de gens (j'insiste bien sur des gens, pas des états ou des entreprises) et que je me sens donc particulièrement touché par le cours sinueux que prend l'histoire entre le Tigre et l'Euphrate.
Vous savez probablement que ce samedi aura lieu une manifestation NO WAR ON IRAQ dans le cadre de la journée internationale anti-guerre, manifestation relayée dans toutes les grandes villes d'Europe, des USA, du monde.
Il est clair dans un premier temps qu'il y a maintes raisons de penser que la messe est dite et qu'il est inutile de perdre un samedi après-midi à déambuler pour rien entre Bruxelles Nord et Bruxelles Midi. Ces raisons sont :
- la volonté de l'administration Bush d'en découdre manu militari avec le régime de Saddam Hussein
- le déploiement des troupes US et alliées qui touche à sa fin
- la fermeture du nord du Koweit à partir du 15/02
- le nouveau rapport des inspecteurs onusiens à remettre pour le 14/02 (un peu court non ?) où l'Iraq doit toujours faire la preuve de ce qu'il n'a pas plutôt que de montrer tout ce qu'il a (vous pouvez relire - il n'y a pas d'erreur)
- l'empressement de la Turquie à jouer le jeu qui n'a pu se faire qu'en échange d'un certain nombre de promesses énergétiques, économiques, politiques et d'intégrité territoriale face à la menace de l'émergence d'un Kurdistan indépendant et les conséquences notamment pour l'Anatolie du Sud-Est
- le silence poli de l'Iran
- le silence insultant de la Syrie (dont l'Irak est pourtant un poumon important mais qui est le premier état arabe à avoir signé contre toute attente la résolution 1441 - la question étant évidemment : contre quoi?
Un accord sur le Golan ? Le cadeau définitif du Liban ? Les restes du jumeau Baas à dad ?)
OUI MAIS...
Oui mais depuis dimanche, la position courageuse de la Belgique, la France et l'Allemagne au sein de l'OTAN redonne notamment du suspense aux médias et à la diplomatie, mais surtout une bulle d'air à la paix. Pour une fois que nous avons un ministre des affaires étrangères qui en a et qui relaye l'opinion publique, je pense qu'il est de notre devoir de saisir ce sursaut et de ne pas céder au défaitisme. Les insultes proférées par l'administration Bush envers notre vieille Europe sont la preuve de leur volonté d'y aller coûte que coûte. Les fameuses "preuves irréfutables" n'existent pas (ou bien elles étaient ramenées par Columbia) et même si Saddam Hussein acceptait un exil aux Bahamas avec collier de fleur et ananas, cela ne changerait probablement rien à la conquête des puits de pétrole par les Texas rangers (Texaco...) et la perfide Albion de Tony Blair (lire BP, Shell...). Est-ce que je commence à être clair ?
Je pense donc qu'il faut aller à cette manifestation. Je pense sincèrement qu'il faut oeuvrer pour la paix, qu'il ne faut pas jouer au foot samedi et qu'il faut quitter le boulot un peu plus tôt vendredi pour faire le Delhaize.
Il y a d'après moi au moins 4 bonnes raisons de ne pas soutenir cette saleté de guerre.
1) LA GUERRE TUE
Je ne vous apprends rien. Cela tue des soldats, des civils, des tortionnaires, des innocents, des hommes intègres , des intégristes, des femmes, des femmes enceintes, des enfants.
La guerre blesse également, elle arrache des membres, elle ampute, elle déplace les populations, les ethnies (kurdes, arabes...), elle déchaine les courants religieux (sunnites au centre, chiites duodécimains d'obédience perse au Sud...).
La guerre se trompe de cible, la guerre fait des charniers, la guerre n'a qu'une seule couleur : celle du sang.
Mais de tout cela, personne ne verra rien. Toutes le images ont déjà été négociées avec CNN. Ne comptez pas sur le Pentagone pour laisser filmer des télévisions qatariotes comme Al Jazira. Si consensus il y a, on verra des frappes chirurgicales à pointe verte dans la nuit et on parlera brièvement de dommages collatéraux. Mais on ne verra rien. Strictement rien. Le pire étant que Saddam Hussein déteste la majorité de sa population (son ethnie est largement minoritaire) et ne se gênera probablement pas, acculé au mur, à organiser des massacres à mettre sur le dos des alliés ou à se servir de boucliers humains.
2) LES IRAKIENS N'EN VEULENT PAS
Comprenez-moi bien. Ils ne veulent pas plus de Saddam Hussein que des bombes. Je m'explique. J'ai eu l'occasion encore en Octobre de parler avec des femmes Irakiennes. Il s'agit de mères de famille et nous avons ici peu d'idées de ce que ce peuple a enduré depuis la guerre du golfe et avant cela la guerre contre l'Iran. Petit retour en arrière. La guerre contre l'Iran dure 7 ans. L'objectif de Saddam Hussein est de conquérir la province du Khuzestan (encore un conflit historique). L'iran riposte parce que cela sert le régime de Khomeini. Bilan : des centaines de milliers de morts (personne ne connait les chiffres exacts) donc pour ces gens des cousins, des neveux, des frères, des jeunes. L'Irak estime ensuite que le Koweit (ancienne province devenant protectorat anglais dans les années 1910) n'a pas payé sa dette de guerre et avertit le secrétaire d'état américain de l'invasion imminente. On répond à Saddam Hussein qu'il s'agit d'une histoire entre arabes, que c'est leur problème, débrouillez-vous.
Il y va et le monde intervient. Jusque-là, pas de malaise, c'est légitime.
On va libérer le Koweit et éliminer le pouvoir en place à Baghdad. On attise l'insurrection des kurdes au nord et des chiites au sud et ensuite on ne finit pas le travail. On fait le job à moitié. On laisse les kurdes se faire massacrer, on laisse S. Hussein en place pour la simple et unique raison qu'il sert les intérêts des anglo-saxons et de l'Arabie Saoudite (en passant le seul pays au monde sans constitution). Parce que si on déboulonne Saddam Hussein à ce moment-là, on ne peut pas mettre un embargo sur l'Irak, et l'embargo est la seule chose qui compte pour empêcher l'Irak de pomper son pétrole et contrôler ainsi le cours du brut avec l'Arabie pour les années à venir. L'espoir de la population irakienne d'en avoir fini avec cet ignoble dictateur qui égorge ses opposants en rue, cet espoir est trahi. Pire, il s'accompagne d'un embargo ignoble qui tue chaque jour des dizaines d'enfants par manque de soins ou malnutrition. Pire, ce sont les gens eux-mêmes qui doivent reconstruire leurs villes dévastées par les bombes, rebâtir des écoles pour leurs enfants, restructurer l'accès à l'eau potable ou l'électricité, redémarrer ce qui reste à redémarrer dans les usines. L'Etat ne fait évidemment rien pendant ces 10 ans. Aucun ministère ne fonctionne, à part celui de la Défense, et encore. Alors, ce que ces gens ont à dire est limpide : ils disent non à Saddam Hussein mais ils disent tout autant non à de nouvelles bombes envoyées par ceux qui ont trahi, ils ne veulent pas voir leurs enfants risquer la mort à chaque sifflement d'obus, ils ne veulent pas reconstruire encore une fois ce qu'ils viennent d'édifier de leurs propres mains sur ces quelques années.
3) LA GUERRE EST UN MENSONGE
Simple comme quelques chiffres. L'Irak pompe aujourd'hui +/- 1.5 millions de barils de Brent par jour, la plupart en "stoemelinks" comme on dit à Bruxelles, contre des échanges avec la Syrie, la Jordanie, la Turquie.
Ses capacités sont estimées à +/- 12 millions de barils par jour mais il faudrait au minimum 5 à 10 ans évidemment pour pousser la production à ce stade. De l'autre côté, l'Arabie, n° 1 incontesté, a régulé sa production en-dessous de 10 millions de barils par jour pour contrôler le cours, mais sa capacité est de 14 millions de barils par jour.
Il semble (je dis bien il semble) que l'objectif visé derrière tout cela est l'Arabie, car les USA les tiennent secrètement pour responsables des attentats WTC du 11/09. Seulement ils ne peuvent pas le dire parce que l'Arabie est leur allié depuis la guerre du Golfe, parce que la dynastie wahhabite est inattaquable physiquement (gardiens des lieux saints de l'Islam) et parce qu'ils ont en besoin en attendant leur tour. A noter que les USA ne consomment même pas 2 millions de barrils par jour en provenance du Golfe, il serait donc facile pour eux de shifter cela d'autres provenances. Le problème n'est pas la consommation. Le problème est l'alliance rompue avec l'Arabie et la nécessité de contrôler le marché de l'énergie dans le futur. Je parle bien d'une nécessité qui prime sur toute autre considération. Et le seul moyen de contrer l'Arabie est de contrôler l'Irak, deuxième réservoir de la planète qui, s'il tourne à plein régime (avec la complicité du Koweit, des UAE...) deviendra le maître de l'OPEP en lieu et place de l'Arabie.
Voilà ce qu'il se trame d'après moi.
Evidemment, l'Irak ne menace pas l'intégrité territoriale des USA, ni celle d'Israel. Evidemment, Saddam Hussein n'a rien à voir avec Al-Qaida (il était même sur le top 10 de Ben Laden des personnes à éliminer en priorité). Evidemment, il ne s'agit pas des droits de l'homme (sinon ils auraient libéré l'Irak il y a douze ans).
4) L'APRES-GUERRE EST DANGEREUX
Les USA n'ont gagné ni le Vietnam, ni la Corée, ni l'Afghanistan. Ils ne vont pas plus gagner l'Irak. Tout ce que les USA ont gagné, c'est la guerre froide. Mais à quel prix pour le Moyen-Orient ! C'est uniquement pour contrer l'URSS que les USA et l'Occident tout entier d'ailleurs a créé ou participé aux monstres suivants :
- le bourbier libanais (et son abandon à la Syrie)
- l'armement des moudjaidines et Ben Laden en Afghanistan
- la guerre civile (Nord/Sud) au Yemen
- les Frères Musulmans en Egypte (contre le socialisme de Nasser)
- le soutien au régime du Shah qui a mené à la Révolution en Iran
- la situation en Libye
etc...etc...
Le Moyen-Orient est très mal engagé dans ce 21ème siècle. C'est évident.
Les dictateurs en place sont les premiers fossoyeurs mais les responsabilités sont partagées. S'engager dans la voie de cette guerre serait :
- mettre de l'huile sur le feu de toutes les organisations terroristes
- attiser la haine de l'Occident et l'amalgame terrifiant d'une croisade judéo-chrétienne contre l'Islam
- risquer des épurations ethniques qui feraient passer les Balkans pour un bac à sable
- risquer des débordements absolument incontrôlables à ce conflit sur dans les zones à forte population (Pakistan, Egypte, Iran...)
Il est évident que l'après guerre ne s'occupera en rien des enjeux majeurs de la région à long terme (accord Israélo-Palestinien - il leur faut une terre, même la portion congrue de la Cisjordanie - un accord Israélo-Syrien sur le Golan, la restitution du Liban aux libanais, le soutien à l'Egypte de Mubarak et une ouverture à l'Iran modéré de Khatami, évidemment un Kurdistan indépendant, évidemment aussi l'acheminement des ressources de la mer caspienne autrement que par l'Azerbaidjan et le Turkmenistan, indiscutablement les droits de l'homme un peu partout).
Il s'agit ici d'une stratégie court terme, comme d'habitude. Je peux me tromper complètement mais je pense que cela n'a jamais été aussi dangereux qu'aujourd'hui.
Ma conclusion est que cela ne servira probablement à rien mais qu'on ne peut pas ne pas y aller. Je pense qu'il s'agit d'un devoir civique si du moins vous partagez en partie ce qui précède. Je ne jure pas que j'ai raison, ma vision est évidemment simpliste et elle n'engage que moi mais je crois quand même qu'il faut prendre ses responsabilités. Et au plus cela traîne, au plus il y a des chances, parce que les républicains ont une nouvelle élection dans moins de 2 ans et ne peuvent pas attendre l'été pour démarrer les hostilités. Attention, je ne dis pas qu'il faut manifester contre les USA. Ils ont enfanté Kennedy, Luther King, Jack Kerouac et Ernest Hemingway. Ils ont REM, les Counting Crows et Tom Mc Rae. Y a pas photo.
Par contre je dis non à GW Bush, son administration républicaine et ses lobbys texans.
Je dis NON à la guerre. Mille fois NON. C'est un guerre puante. Elle pue la mort, le mensonge, le mépris, l'argent et le souffre.
Je dis NON et ça n'engage que moi. Je ne suis pas un utopiste mais là, c'est vraiment trop.
NON - NON et NON.
Si vous êtes d'accord, SVP faites passer le message à tout votre carnet d'adresses et venez nombreux Samedi après-midi 14h00 gare du Nord.
Didier Peeters